Lorsqu'on parle de déportation on pense Shoah, extermination systématique par l'Allemagne nazie de 5 à 6 millions de juifs avec "la solution finale' pendant la seconde guerre mondiale.

L'horreur au sens pur.

Pourtant au-delà des déportés juifs, il ne faut pas oublier les résistants, les opposants au régime, les droits communs et les homosexuels qui, même s'ils n'entrent pas dans le cadre de la solution finale nazie, n'en ont pas moins été déportés, persécutés, torturés et dont la plupart sont morts.

 

J'aborde aujourd'hui la déportation des homosexuels, si tardivement reconnue. On l'a appelée la "déportation rose". J'ai eu le plaisir de visiter l'exposition de Tours sur la déportation des homosexuels, exposition de 2016 organisée par le Mémorial de la déportation homosexuelle, et je me propose de vous en faire profiter à mon tour en y apportant des données et des recherches personnelles.

 

Mais pour comprendre la déportation rose il faut ce replonger dans l'histoire de l'Allemagne.

 

L'homosexualité en Allemagne avant et après la première guerre mondiale

 

En Allemagne, depuis le XIXème siècle, existe une population homosexuelle masculine et féminine qui prend de l'importance.

On ne peut parler d'homosexualité allemande sans mentionner Magnus Hirschfeld.

Magnus Hirschfeld est un médecin né en 1868, il est le premier à étudier la sexualité humaine, il est l'un des pères fondateurs des mouvements libérateurs homosexuels. En 1891 il crée "le Comité scientifique et humanitaire" qui a pour but la défense des homosexuels.

Magnus Hirschfeld

 

Pourtant de nombreuses voix hostiles s'élèvent déjà.

En 1871, adoption du code Prussien et de son article §175 qui punit de 5 ans de prison les relations homosexuelles masculines.

Il y a une forte ambiguïté car en 1900, il existe 40 bars homosexuels reconnus à Berlin et une publication dédiée.

En 1903, Hirschfeld organise une pétition contre l'article 175, il obtient des milliers de signatures dont celles d'hommes politiques et même celle d'Einstein. Mais sa portée est nulle et rien n'arrête l'application du code Prussien et les arrestations se multiplient.

Après la guerre de 1914-1918, l'Allemagne est une démocratie : c'est la République de Weimar mais si Weimar est la capitale officielle, Berlin reste le coeur de l'Allemagne où tout va plus vite.  L'Allemagne connait aussi ses "années folles", elle s'ouvre aux influences françaises, anglaises et surtout américaines. En 1920, Berlin devient un oasis de liberté pour les homosexuels et s'impose comme la vitrine des homosexuels en Europe.

Berlin se moque de la loi qui condamne toujours l'homosexualité masculine.

Les arts eux-mêmes sont influencés par ce courant. Le peintre Otto Dix peint le portrait d'une journaliste Sylvia von Harden en tenue très moderne pour l'époque, fumant cigarette, cheveux courts et monocle à l'oeil  

Sylvia von Harden par Otto Dix - 1926

 

Le cinéma aussi subit cette influence et les artistes immortalisent leur nouvelle liberté sexuelle comme dans le film de Joseph von Sternberg "Morocco" en 1930 où Marlène Dietriech en costume masculin, embrasse une femme ( il faut cependant reconnaître que la loi vise surtout l'homosexualité masculine, l'homosexualité féminine se fait plus discrète.)

Marlène Dietrich dans Morocco

 

Dans les cabarets, comme à l'Eldorado, le plus célèbre cabaret de Berlin, la belle société allemande en smokings et robes de soirée vient s'encanailler au côté des travestis et des transsexuels, tout le monde danse avec tout le monde sans se soucier du sexe de son partenaire. la devise de ce cabaret est "Hier ist's richtig" soit "Ici c'est bien ".

 

ascension politique d'Hitler et homophobie

Membre du parti national socialiste des travailleurs allemands, il s'impose à la tête du mouvement en 1921. Il tente en 1923 un coup d'état qui échoue, il est emprisonné et met à profit sa courte peine pour rédiger son livre "mein Kampf" dans lequel il expose ses théories racistes et ultranationalistes.

Il devient chancelier le 30 Janvier 1933 et met en place sa politique raciale. Il veut une race supérieure, aryenne, pure, forte et sans perversion. Sa politique en plus d'être antisémite prône l'épuration des malades mentaux, des délinquants, des opposants et des homosexuels.

Cependant tous ne sont pas au même niveau.

Il y a des critères de qualité. Par exemple les juifs, les tziganes ou même les malades mentaux pervertissent la race. Ils sont donc à supprimer définitivement selon Hitler.

Il y a des critères de quantité. Les homosexuels sont nuisibles car ils ne se reproduisent pas et donc menacent la race d'extinction. Il faut les "rééduquer" toujours selon Hitler

Cette théorie raciale à 2 vitesses explique la "solution finale" d'emblée pour les juifs et une "rééducation" en camp de travail pour les homosexuels, qui échappent dans un premier temps aux crématoires dès leur arrivée au camp, mais qui succomberont sous les coups, les humiliations et l'épuisement .

 

Avec l'arrivée des nazis au pouvoir, commence à Berlin, une déferlante homophobe. Fermetures des établissements, interdiction de se réunir, arrestations, rafles, les nazis interdisent toute visibilité homosexuelle.

l'Eldorado sur la liste des établissements fermés

 

 

En ce qui concerne Magnus Hirschfeld, son institut est saccagé par les SA et il s'enfuit en France à Nice.

12000 livres et 35000 photos irremplaçables sont brûlés par les nazis lors d'un grand autodafé.

Après "la nuit des longs couteaux" qui brise toute velléité d'indépendance de la SA ( 30 juin 1934 ) et l'éviction d'Ernst Röhm puis son assassinat pour homosexualité, les nazis intensifient leur persécution. En 1935 Berlin devient la ville la plus homophobe d'Europe.

 

Ensuite le Reich fait la chasse aux homosexuels au sein de ses propres armées et ceux-ci sont selon leur grade soit emprisonnés, soit "rééduqués" soit passés par les armes.

 

En 1935, l'article §175 est revu et  s'étoffe, il condamne non seulement les relations entre même sexe mais s'étend jusqu'au désir d'homosexualité.

 

En 1937, Himmler expose comment l'homosexualité doit être éradiquée pour préserver le "sang noble". Donc pour se débarrasser de cette "gangrène" on va déporter les allemands et les homosexuels des territoires annexés. Pour les nazis ce n'est pas une épuration raciale mais un contrôle social nécessaire à la sauvegarde de la race

 

Deux bureaux spéciaux sont créés au sein de la Gestapo et de la police qui arrêtent 100 000 homosexuels qui vont partir en prison ou vers les camps de concentration après jugement sommaire.

 

le nazisme et l'homosexualité féminine

 

J'ai beaucoup parlé des hommes en effet si l'homosexualité féminine existe, elle est plus discrète d'une part et pour les Nazis leur danger est moindre.

 

Les femmes en général, dans l'Allemagne nazie, sont perçues comme des mères, inférieures et dépendantes des hommes, leur rôle se limite à la procréation et à l'éducation des enfants.

Beaucoup d'hommes s'imaginent que les lesbiennes sont "guérissables" et qu'une relation sexuelle avec un homme les remettra dans le droit chemin.

On n'imagine pas que les femmes puissent se passer des hommes et les nazis pensent à tord pouvoir les ramener à l'hétérosexualité. Mais si le lesbianisme n'est pas condamné par la loi allemande, les lieux de rencontres, les revues, les magazines sont interdits et les nazis mènent la vie dure aux lesbiennes.

Si elles ne sont pas arrêtées pour homosexualité, elles le sont pour un autre délit ... il y a toujours une bonne raison de le faire !

Pour échapper aux arrestations, certaines lesbiennes contractent des mariages blancs avec des amis et affichent ainsi une "normalité".

photo 1 : scène de soirée allemande - photo 2 : origine familiale
photo 1 : scène de soirée allemande - photo 2 : origine familiale

photo 1 : scène de soirée allemande - photo 2 : origine familiale

 

les triangles roses

Les homosexuels sont parmi les premiers à être enfermés avec les opposants politiques aux nazis, surtout communistes.

Au début, ils portent le numéro 175 sur leurs tenues rayées mais en 1936, les nazis préfèrent un triangle rose, en effet les triangles permettent aux SS de repérer les détenus pour mieux les diviser et créer une hiérarchie dans les camps.

Cependant chaque camp a ses habitudes, parfois les homosexuels portent des triangles verts pour criminels ( de moeurs ) ou les triangles bleus attribués aux prêtres et quelquefois aux prostitués ou encore un autre triangle s'ils sont arrêtés pour 2 motifs par exemple un juif homosexuel aura une étoile jaune et rose, un communiste homosexuel aura un triangle rouge.

 

code couleurs des triangles à Dachau

 

En général les homosexuels sont peu nombreux dans les camps, environ 1%, ce qui rend difficile la solidarité de groupe.

Environ 100 000 homosexuels ont été arrêtés entre 1939 et 1945, la majorité a été interné dans les prisons allemandes mais 15 000 ont été envoyés en camp de concentration.

Ils sont traités comme des droits communs et sont au bas de l'échelle sociale des camps. Logés à part le plus souvent, les travaux les plus pénibles leur sont réservés comme par exemple la gravière de Dachau, l'argilière et la briqueterie à Sachsenhausen et Neuengamme ou encore l'usine souterraine d'armement à Dora.

Considérés comme des sous-hommes, ils sont affectés à ces travaux plus longtemps que les autres et 60% d'entre eux meurent d'épuisement.

Aux travaux forcés, s'ajoutent les coups, la torture, les maladies et la sous-nutrition sans oublier les expérimentations médicales.

 

 

Les femmes accusées de lesbianisme et déportées portent, elles, un triangle noir, triangle des associales.

 

Les homosexuels et l'expérimentation médicale

Dès 1940, les nazis autorisent les médecins à pratiquer des expérimentations sur des cobayes humains dans les camps de concentration.

Les homosexuels, on l'a vu, sont considérés comme "guérissables" et donc on va tenter de les "guérir" à savoir les rendre hétérosexuels. Ce projet, plus proche de la torture que de la médecine, passionne Himmler.

Dans un premier temps, il amène des triangles roses au camp de femmes de Ravensbrück afin qu'ils succombent aux avances de celles-ci. Certains ont l'intelligence de feindre une "guérison" pour être libérés !

Mais les nazis croient que l'homosexualité est une maladie qui peut se transmettre à la descendance et donc on propose, en 1943, aux homosexuels de les castrer. "Ceux-là au moins ne se reproduiront pas !" pense Himmler. 

Les volontaires sont castrés en échange de leur liberté, ceux qui acceptent sont castrés chirurgicalement puis libérés et incorporés dans la Wehrmarcht sur le front de l'Est.

Ceux qui ne sont pas volontaires vont souffrir dans les commandos de travaux forcés ou bien subir des expérimentations de castration non chirurgicale. Par exemple, sous prétexte d'interrogatoire, on les fait s'asseoir nus sur un tabouret percé en dessous duquel on a installé un appareil à rayon X. La forte exposition des bourse pendantes aux rayons, 2 minutes suffisent, est indolore sur le coup mais des nécroses et des lésions internes surviennent dans les jours qui suivent. Les sujets meurent finalement dans d'horribles souffrances.

 

En 1944, on autorise les expériences médicales du Dr Carl Vaernet. Il prétend avoir mis au point une glande artificielle, qui, libérant une hormone masculine, doit "guérir" l'homosexualité. Avec l'accord d'Himmler, il teste sa "glande" à Buchenwald mais c'est un échec cuisant entraînant la mort des homosexuels

expérimentation hormonale- Buchenwald- source : triangle-rose-photo.blogspot.fr

 

 

Pour les femmes, pas de stérilisation, du moins pas pour les lesbiennes, car elles sont "guérissables". Et quoi de mieux pour les guérir que des rapports sexuels avec des hommes ? L'idée est toute trouvée pour les nazis, elles formeront le cheptel des femmes de "bordels" nécessaires au soulagement de ces messieurs. Beaucoup mourront de maladie ou d'épuisement.....

 

Les homosexuels français sous l'occupation

 

Suivant l'exemple nazi, le régime de Vichy engage une politique homophobe en France.

Avec la loi du 6 Août 1942, le Maréchal Pétain et l'Etat français condamnent les rapports homosexuels, elle trouve ses racines dans l'image de la "famille parfaite" que véhicule le régime de Pétain.

Vichy, sous l'influence de l'église catholique et de l’extrême droite nationaliste pense que l'homosexualité est une menace. Tout comme en Allemagne, Vichy pense qu'ils sont la cause de la dénatalité et de la débâcle morale due à leur comportement obscène

Cette loi avec son article 334, est en opposition totale avec les traditions républicaines puisque, depuis 1791, l'homosexualité n'était plus pénalisée. Cet article est à l'origine de l'homophobie d'Etat dans la seconde moitié du XXème siècle en France.

 

Des centaines d'homosexuels sont alors déportés vers les camps de concentration nazis, ils sont pour la plupart issus des régions annexées par le Reich telles que l'Alsace, la Moselle, l'est de la France mais aussi de Paris ...

Pétain et Hitler

 

 

L'homosexualité au sein des camps

 

Il y a peu d'homosexuels dans les camps, on l'a vu, ils sont répartis dans tous les camps, séparés, brimés par les nazis mais aussi par les déportés de droits communs par exemple qui ne les supportaient pas dans la vie libre et donc les humilient.

Trop peu nombreux pour former un groupe, ils n'arrivent pas à avoir de postes protégés et triment très dur. Ils n'arrivent pas non plus à "organiser" des denrées ou des restes. Pour beaucoup de déportés, soumis à des tâches exténuantes et sous-alimentés au delà de l'imaginable, la libido est  loin d'être une préoccupation première, l'important est la survie.

Il n'en est pas de même pour les détenus affectés à des activités d'encadrement, les Kapos par exemple. En effet ceux-ci ne participent pas aux tâches pénibles, sont un peu mieux nourris, dépensent un peu moins d'énergie mais ils restent des prisonniers et sont privés des femmes. Eux, ont des préoccupations sexuelles. Ils ne sont pas homosexuels, ne portent pas le triangle rose, mais leurs pulsions sexuelles les poussent à choisir de jeunes détenus comme "camarade de jeu" contre quelques épluchures ou un petit bout de pain.

Il ne faut pas faire d'amalgame, cette homosexualité a été temporaire, conditionnée par le contexte absurde des camps. 

 

 

les homosexuels après la libération : l'oubli

 

A la libération, en 1945, les victimes des déportations nazies sont entourées d'attention et le souvenir de leur souffrance s'organise. Ceux qui veulent parler, témoignent.

Les lois condamnant l'homosexualité étant partout maintenues, les triangles roses se taisent, ils sont contraints au silence. Lors de la libération, les alliés ont même rendu au système pénitentiaire des triangles roses les considérant comme des délinquants sexuels.

L'article §175 sera maintenu jusqu'en 1969 en RFA et jusqu'en 1965 en RDA

En France, en 1945, le général de Gaulle maintient l'article 334 qui devient l'article 331-2 du code civil. En 1960, un amendement est même voté qui place l'homosexualité comme fléau social tout comme la tuberculose et l'alcoolisme. L'homosexualité demeure condamnée

 

La déportation homosexuelle est condamnée, elle, à l'oubli.

 

Depuis 1982, en France, le statut des homosexuels a évolué l'amendement 331-2 a été aboli et en 2004 l'homophobie est reconnue comme une discrimination passible de peine pénale.

 

Les déportés pour homosexualité osent témoigner et je vous propose quelques témoignages.

 

 

Témoignage d'Harry Pauly

 

Harry Pauly est un jeune berlinois, il est apprenti coiffeur mais n'aime pas son métier Il aime le théâtre, a quelques petits rôles et fréquente le milieu de la nuit et les homosexuels.

 

Son ami "Susi", un travesti, est tué à coup de poignard lors de la fermeture des bars homosexuels à Berlin. Harry est arrêté en 1936 en vertu de l'article §175, emprisonné au camp de Neusustrum où il  travaille 12 heures par jour dans les marécages et cela pendant 15 mois.

Libéré puis dénoncé et ré-emprisonné pour 8 mois, libéré, incorporé dans l'armée où il est traité de "sale Pédé" il déserte 2 fois. Rattrapé il est versé, en mesure punitive, dans une unité spéciale de combat dont tous les membres presque sont tués

Il a survécu

Après la guerre il ouvrira son propre théâtre

Harry Pauly - source: www.ushmm.org

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 Témoignage de Margarete Buber-Neumann

 

La vie dans un camp est un enfer difficile à concevoir pour qui ne l'a pas vécu. Dans les pires détresses, l'amour est une force qui s'impose malgré les risques, la souffrance et la mort.

Margarete dit aussi "je remercie le sort de m'avoir conduite à Ravensbrück car j'y ai rencontré Milena..... Lors de la mort de Milena, la vie a perdu tout sens pour moi"

Dans un livre qui raconte la vie de Milena Jesenska, elle raconte tous les petits gestes de l'amour : offrir des fleurs, se tenir la main, se voir chaque jour, à tout prix et cela non sans risque car l'homosexualité féminine se punit à coup de bâton, de schlague.

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Margarete Buber-Neumann et Milena Jesenska

 

 

Témoignage de Karl Gorath

 

Se préparant au métier d'infirmier, Karl Gorath a été dénoncé par un amant jaloux, à 26 ans. Il est interné au camp de Neuegamme près de Hambourg où ceux du 175 portaient un triangle rose.

En tant qu'infirmier il est transféré à l'hôpital d'un sous-camp de Neuegamme où il refuse de réduire la ration de pain des polonais, désobéissant ainsi aux ordres d'un garde. En punition, il est envoyé à Auschwitz, il ne fait plus partie des 175 mais porte désormais le triangle rouge des prisonniers politiques ce qui, selon lui, lui épargne la brutalité réservée aux déportés homosexuels

Il est libéré en 1945 lors de la libération d'Auschwitz et confie : " à Auschwitz j'ai eu un amant polonais il s'appelait Zbigniew"

 

Karl Gorath a témoigné sur la déportation des homosexuels dans un film documentaire intitulé "le Paragraphe 175"

Karl Gorath - source http://www.gerechte-der-pflege.net

 

 

Témoignage de Pierre Seel

 

Pierre Seel est alsacien et vit en cachette son homosexualité. A 15 ans il fait ses rencontres dans les bois où il perd sa montre, il va porter plainte auprès de la police qui au vue du lieu de la perte comprend ce qu'il y faisait et l'ajoute sur le fichier des homosexuels. Deux ans plus tard, en 1941, il a 17 ans quand l'Alsace est rattachée à l'Allemagne nazie. La Gestapo trouve le fichier des homosexuels et arrête Pierre.

Pendant 2 semaines, il est interrogé, torturé, violé puis déporté au Struthof.

Un matin, lors de l'appel, Pierre Seel voit arriver Jo, son premier amour. Sous ses yeux plein de larmes, Jo est assassiné sauvagement par les nazis qui lâchent les chiens sur lui. Le traumatisme de cette mort atroce le hantera toute sa vie

En Novembre 41, il est envoyé sur le front de l'Est, c'est un "Malgré nous", il déserte, se livre aux Russes qui le remettent à la Croix Rouge qui enfin le ramène en France.

 

Mais le supplice ne s'arrête pas là, car Pierre doit se taire, l'homosexualité est condamnée en France. 

Il se marie en 1950, a 4 enfants et son mariage dure 28 ans.

 

En 1982, en réaction aux propos homophobes de l'évêque de Strasbourg qui qualifie les homosexuels d'infirmes et avec l'allègement de la loi, il sort de son silence.

Il dévoile au monde et à sa famille son homosexualité et s'engage dans un combat pour la mémoire et pour la reconnaissance de la déportation Rose.

 

Il témoignera jusqu'à sa mort en 2005 et c'est le seul français qui a osé témoigner de son homosexualité

 
Pierre Seel, témoin de l'horreur, parle...
 
  « Des jours, des semaines, des mois passèrent. De mai à novembre 1941, je vécus six mois de la sorte dans cet espace où l'horreur et la sauvagerie étaient la loi. Mais je tarde à évoquer l'épreuve qui fut la pire pour moi, alors qu'elle se passa dans les premières semaines de mon incarcération dans le camp. Elle contribua plus que tout à faire de moi cette ombre obéissante et silencieuse parmi d'autres.

  Un jour, les haut-parleurs nous convoquèrent séance tenante sur la place de l'appel. Hurlements et aboiements firent que, sans tarder, nous nous y rendîmes tous. On nous disposa au carré et au garde-à-vous, encadrés par les SS comme à l'appel du matin. Le commandant du camp était présent avec tout son état-major. J'imaginais qu'il allait encore nous assener sa foi aveugle dans le Reich assortie d'une liste de consignes, d'insultes et de menaces à l'instar des vociférations célèbres de son grand maître, Adolf Hitler. Il s'agissait en fait d'une épreuve autrement plus pénible, d'une condamnation à mort.


  Au centre du carré que nous formions, on amena, encadré par deux SS, un jeune homme. Horrifié, je reconnus Jo, mon tendre ami de dix-huit ans. Je ne l'avais pas aperçu auparavant dans le camp. Etait-il arrivé avant ou après moi ? Nous ne nous étions pas vus dans les quelques jours qui avaient précédé ma convocation à la Gestapo. Je me figeai de terreur. J'avais prié pour qu'il ait échappé à leurs rafles, à leurs listes, à leurs humiliations. Et il était là, sous mes yeux impuissants qui s'embuèrent de larmes. Il n'avait pas, comme moi, porté des plis dangereux, arraché des affiches ou signé des procès-verbaux. Et pourtant il avait été pris, et il allait mourir. Ainsi donc les listes étaient bien complètes. Que s'était-il passé ? Que lui reprochaient ces monstres ? Dans ma douleur, j'ai totalement oublié le contenu de l'acte de mise à mort.

  Puis les haut-parleurs diffusèrent une bruyante musique classique tandis que les SS le mettaient à nu. Puis ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d'abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d'horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu'il perde très vite connaissance. Depuis, il m'arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. Depuis plus de cinquante ans, cette scène repasse inlassablement devant mes yeux. Je n'oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. Sous mes yeux, sous nos yeux. Car nous fûmes des centaines à être témoins. Pourquoi donc se taisent-ils encore aujourd'hui ? Sont-ils donc tous morts ? Il est vrai que nous étions parmi les plus jeunes du camp, et que beaucoup de temps a passé. Mais je pense que certains préfèrent se taire pour toujours, redoutant de réveiller d'atroces souvenirs, comme celui-ci parmi d'autres.

     Quant à moi, après des dizaines d'années de silence, j'ai décidé de parler, de témoigner, d'accuser. »


Extrait de Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel

 

Conclusion

 

Il est certain que l'ampleur de la Shoah et le choc suscité après guerre ont passé au second plan le travail de mémoire sur la déportation des minorités comme les tziganes ou les homosexuels qui n'en ont pas moins payé un lourd tribut.

 

Aujourd'hui grâce aux associations ce travail de mémoire est en marche. Des monuments à la mémoire des triangles roses ont vu le jour dans certains pays comme les Pays-Bas, l'Allemagne, à Berlin, etc .....  et surtout les groupes homosexuels, on dit gays aujourd'hui, sont de plus en plus présents à la Journée du Souvenir en Avril, ayant par là même dépassé les quelques dernières réticences qui perduraient.

 

Il était temps .....

 

 

 

 

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