Ardoises de Morzine : origine, extraction, utilisation et avenir
03 janv. 2019
Cette année, au mois de Mars, je suis allée avec des amis à Morzine. Ne faisant plus de ski, j'en ai profité pour visiter le patrimoine, le village et ses environs. Mes pas m'ont amenée jusqu'à des panneaux disposés sous une vieille halle en bois traitant des ardoises de Morzine.
J'ai vu cette exposition avec intérêt et je remercie la mairie et l'Office du tourisme de Morzine de cette initiative.
Ensuite, solitaire, j'ai randonné à la recherche des lieux d'extractions et j'ai même pu échanger avec l'épouse d'un ancien ardoisier, à l'entrée d'une des dernières ardoisières, qui a su compléter ma connaissance du sujet.. Merci à elle pour son accueil et le temps qu'elle a bien voulu m'accorder.
Aujourd'hui c'est à mon tour de vous emmener à la découverte des ardoises et des ardoisiers de Morzine au travers de cette exposition ...
Mais d'abord un peu d'histoire, rassurez-vous.... très simplement
Rappel sur la formation de notre terre
Au début il n'y avait sur terre qu'un continent unique nommé la Pangée et un seul océan appelé Panthalassa. Nous sommes à - 250 millions d'années.
Il y a 200 millions d'années, au Trias, une fissure apparaît longitudinalement dans le continent et commence à le séparer en deux et à les faire dériver. Dans le même temps et jusqu'au jurassique une rupture orientée est-ouest se produit. Nous sommes en - 160 millions d'années et cela va se poursuivre progressivement jusqu'au Crétacé
la Pangée se sépare donc en 2 continents : la Laurasie et le Gondwana
- la Laurasie donnera plus tard l'Asie, l'Europe et l'Amérique du nord
- le Gondwana donnera l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Océanie et l'Antarctique
cliquez sur l'image pour l'agrandir si vous le souhaitez
A la moitié du Crétacé débute, avec la séparation transversale des continents, l'ouverture de la mer linéaire, c'est l'embryon de l'Océan Atlantique et la création de l'Océan Téthys.
Jusqu'à la fin du Crétacé (- 66 millions d'années) les continents vont continuer de dériver, l'Amérique se sépare franchement de l'Europe et de l'Afrique. L'Afrique, elle, remonte vers l'Europe entraînant ainsi le début de la fermeture de l'Océan Téthys.
Au début de l'ère tertiaire, il y a 40 millions d'années, l'Océan Téthys se referme de plus en plus, la mer Méditerranée en est un résidu.
La fermeture de l'Océan Téthys va former le système Alpin.
Voilà c'est ainsi que débute l'histoire géologique des Alpes et par là-même celle des ardoises de Morzine
naissance des ardoises de Morzine
- Lors de l'apparition de l'océan Téthys le temps est chaud et il y a une grande évaporation, les sels se concentrent dans les lagunes et se déposent. Ils créent une série de roches riches en Chlorures et Sulfates : les évaporites.
- Puis l'océan Téthys s'étend et augmente sa profondeur. Cette activité, activité qui est tectonique, entraîne une succession de séismes qui provoquent des effondrements de falaises sous-marines. Des débris de toutes tailles, des blocs de plusieurs mètres cube, s'entassent au pied des parois puis sont cimentés par une boue calcaire. Il en résulte des roches hétérogènes appelées brèches.
On en trouve dans le Chablais et donc dans la vallée des Ardoisières, ce qui nous intéresse ici, mais aussi au roc d'Enfer et au Mont de Grange ...
- Entre chaque période sismique on a des périodes d'accalmie, de fines particules se déposent alors au fond de l'océan Téthys, ce sont des argiles qui vont former des roches se débitant en feuillets : des schistes et des calcaires en plaquette
cliquez sur ce petit schéma pour résumer ce que je viens de vous exposer.
Puis comme je l'ai dit, Téthys a disparu et les dépôts se sont retrouvés enfouis dans le système alpin, caché en son sein jusqu'à leur découverte ....
Composition de l'ardoise de Morzine
Il y a les schistes ardoisiers comme ceux que l'on trouve en Anjou, à Trélazé par exemple, et puis il y a les ardoises de Morzine...
Les schistes ardoisiers sont composés de silice, alumine, oxyde de fer, magnésie, potasse, soude et eau.
L'ardoise de Morzine ...n'est pas de l'ardoise ! le calcaire que l'on trouve ici et qui se débite en plaques se distingue des schistes ardoisiers. Elle a des propriétés similaires mais pas la même origine. La proportion entre calcaire et minéraux en feuillets, comme la muscovite et la chlorite, donne à l'ardoise de Morzine des propriétés particulières telles que le débitage facile en plaquettes, la dureté et la solidité.
Le calcaire ardoisier en plaquette de Morzine, "l'ardoise", contient donc des micas blancs et de la muscovite, de couleur argentée et de la chlorite. Quand cette dernière s'altère, elle prend un aspect jaunâtre. La combinaison du mica et de la chlorite altérée finit par donner "un vernis protecteur" de couleur mordorée.
histoire des ardoisières de Morzine
les premiers bancs d'ardoises de Morzine ont été découverts au XVIIIème siècle par les frères Chuit dans la vallée de Sous-le-Saix appelée aujourd'hui vallée des Ardoisières. Pour vous resituer un peu, la vallée des Ardoisières se trouve le long de la route menant de Morzine au téléphérique des Prodains qui vous conduit à Avoriaz.
L'église de Morzine sera le premier bâtiment à en bénéficier, sa couverture en ardoises date de 1734.
On trouve mention de cette découverte dans un fascicule nommé "Historique" du révérend Grillet qui nous écrit :
"l'on fit à neuf le couvert de l'église en 1734. C'est à dire toute la ramure, et on la couvrit d'ardoises. Ce sont les premières qui ont été découvertes à Morzine par les frères Chuit Joseph et Pierre Joseph aux Crets, sous les rochers, près des fontaines."
Cette découverte a changé la manière de vivre des habitants de Morzine. Jusqu'au XVIIIème siècle les Morzinois vivent de l'élevage pour certains et du bois pour d'autres. Cependant ces occupations sont liées aux saisons et lors des périodes d'hiver nombre de Morzinois s'expatrient pour aller trouver du travail dans des régions plus hospitalières en tant que charpentiers, maçons, ramoneurs ....
Avec la création des ardoisières, le travail peut se faire l'hiver car les mines ont des températures basses mais stables et à couvert, ou bien on peut se cantonner à la découpe des plaques. La population perd l'habitude de la migration et reste sédentaire.
Au cours des 2 siècles suivant une centaine de carrières s'ouvrent employant jusqu'à 250 personnes.
Qualités des ardoises de Morzine
l'ardoise de Morzine est non gélive c'est à dire qu'elle ne se désagrège pas sous l'effet du gel, propriété importante en pays Morzinois !
elle ne contient ni oxyde de fer, ni pyrite de fer
C'est un matériau solide qui tient sur le long terme, une toiture peut durer 100 ans.
Elle est d'une grande robustesse avec une résistance de 1500 kg au cm2
Pour toutes ces propriétés, l'ardoise de Morzine a supplanté les bardeaux en bois ou tavaillons, qui sont de petites planchettes clouées sur les voliges d'un toit qui pourrissaient très rapidement sous l'effet de la neige et du gel.
La renommée de l'ardoise de Morzine a dépassé la vallée Morzinoise et en a assuré la prospérité.
Les mines d'ardoises de Morzine
Comme on l'a vu, au début du XIXème siècle, les ardoises connaissent un vif succès. Progressivement les parois de la vallée des Ardoisières se percent de dizaine de trous et les galeries s'enfoncent plus profondément dans la montagne.
La route de la vallée des Ardoisières égraine ses lieux-dits : les Planets, les Meuniers, les Crêts,le Requat, les Avinières, en Lys, les Covagnes, les Prodains ... au pied de la paroi verticale on distingue de petites ouvertures plus ou moins espacées. Ce sont les entrées des mines qui donnent leur nom à la vallée.
Pour extraire l'ardoise on attaque la veine à son affleurement et on creuse dans le calcaire en plaquette en suivant le filon appelé "banc".
Perpendiculaire à l'escarpement, les galeries s'enfoncent vers la zone d'extraction. Cette zone est appelée "front de taille", elle peut s'élargir sur une dizaine de mètres. Le chantier est sécurisé par des piliers de soutènement qui diminuent le risque d'effondrement de la voûte.
Devant le nombre croissant de ces percées, l'administration va imposer que toutes les galeries soient orientées au nord pour éviter les croisements.
Quatre bancs ont été exploités :
- le "gros banc", le plus épais avec ses 4,5 mètres d'épaisseur est le plus exploité
- le "banc des 7 pieds" de 2,10 mètres d'épaisseur
- le "banc de la loge", le plus difficile à travailler, avec 1 mètre d'épaisseur, il contient la roche la plus dure de qualité inégale
- le "banc des lanchettes", plus facile à travailler mais la roche est de moindre qualité
Le travail dans les mines d'ardoises
L'été il est dans l'alpage ou en train de débiter son bois et l'hiver il est mineur dans les bancs d'ardoise ce qui lui apporte un revenu complémentaire non négligeable. Voilà le quotidien du Morzinois jusqu'au début du XXème siècle.
Dans la mine la température est stable. Dehors il fait -10 et dedans il fait +7 mais encore faut-il grimper jusqu'à la mine.
A l'aube l'ardoisier quitte sa ferme dans la pénombre et le froid, il longe l'escarpement sur un étroit chemin accompagné de son chien qui tire le traîneau chargé d'outils et de légumes pour la soupe. Le froid est vif et le souffle de l'homme se mêle à celui de son chien... et la marche est longue...
Enfin, le marcheur aperçoit l'entrée de la galerie et l'entrée en est presque accueillante avec ses 7° de température. Une cabane de travail se trouve près de l'entrée de chaque mine, c'est le "pêle". Le premier marcheur arrivé y allume un bon feu avec du bois monté et entreposé là à l'automne pour y sécher. ce feu servira à réchauffer mais aussi à cuire la soupe bien méritée.
L'entrée de la mine attend les travailleurs après en avoir déneigé l'accès. Ils s'équipent de leurs outils, de leur lampe et quittent la lumière du jour pour l'obscurité des galeries vers le cœur de la mine que les habitants de la vallée appellent entre eux, en patois local, "Aïyo".
cliquez sur les photos suivantes pour les agrandir
Le travail dans la mine consiste en plusieurs étapes et toute une famille travaille souvent dans son "banc".
- L'effeurage
C'est l'opération qui consiste à enlever "l'effeureillon" qui correspond à la couche de roche qui surmonte le banc exploitable et le rend ainsi plus facilement accessible.
Pour cela, les ardoisiers utilisent les fractures naturelles de la roche "les délits".
Le travail se fait soit à la barre à mine ou "pot fer" en patois ou à la poudre noire.
Au XIXème siècle on commence à utiliser le dynamite pour enlever l'effeureillon.
En général c'est le père de famille qui se charge de ce travail.
- l'arrachage
une fois l'effeurage effectué, les mineurs s'attaquent au "banc" lui-même. L'arrachage consiste à détacher des blocs de schiste ardoisier de façon à pouvoir les extraire et les travailler à l'extérieur. On comprend que les blocs doivent avoir une taille raisonnable car ensuite les plaques, ou "platées" ne seront maniées qu'à la seule force humaine.
Le travail se fait à la barre à mine et à la poudre noire, c'est l'opération la plus dangereuse.
Le trou préparatoire est fait à la barre et à la masse. Après chaque coup, l'ardoisier sort légèrement l'outil et lui fait faire un quart de tour. Avec ces gestes précis et répétitifs, le mineur creuse un trou de 33 cm soit "un pied carrier" en une heure.
Dans les premiers temps on remplissait le trou obtenu au 1/3 avec la poudre noire, puis il fallait la tasser. Pour cela on utilisait un "bourroir"" qui est en fait une tige métallique. Cette pratique pouvait provoquer la création d'étincelles lorsque le bourroir heurtait les parois du trou et ainsi entraîner une explosion.
Ensuite, pour pallier au danger de cette pratique et ainsi éviter ces accidents , les ardoisiers ont décidé de glisser délicatement un rouleau de papier rempli de poudre fermé à son extrémité, dans le trou.
Parfois il est possible de détacher la roche sans avoir recours à la poudre noire, ceci est un avantage non négligeable car cela économise la poudre qui est très chère, sans explosif on supprime le résidu de poudre sur la roche qui entraîne pas mal de perte et enfin l'explosion provoque des fissures dans le banc.
La vente de poudre est d'ailleurs réglementée ...
je vous propose un extrait du témoignage de Laurent Baud, ardoisier, parue dans la revue Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement de Haute-Savoie du mois de Juillet 2003.
"jusqu'en 1940, les trous de mine étaient faits à la barre et à la masse; quelques ardoisières possédaient des perforatrices à mèches hélicoïdales, mues par levier à cliquet. Seule l'ardoisière des Plenets utilisait depuis 1906, une perforatrice à mèche, mue par un moteur électrique à courant continu. Plus tard seulement apparurent les marteaux perforateurs à air comprimé... "
- du bloc à la dalle
Les blocs sont tombés, les ardoisiers doivent les débiter en plaques appelées "les platées". Pour cela ils utilisent un coin assez mince, "l'écarterio" en effet la nature de l'ardoise de Morzine, très dure, ne permet pas une mécanisation poussée.
Les platées ont maintenant la taille et le poids adéquats et peuvent regagner la sortie de la mine à dos d'homme, travail très pénible, ou plus récemment en petits wagonnets, pour être transformées.
Les platées sont déposées près de la sortie de la mine où elles vont passer la nuit dans l'humidité et la relative douceur du tunnel pour ne pas sécher et ne pas durcir et ainsi pouvoir être "travaillées" le lendemain.
les résidus des blocs, appelés "marin" sont rejetés à l'extérieur de la mine. On se sert des morceaux les plus plats pour construire la voûte des galeries.
- le pêle
C'est le moment pour les carrieurs de revenir dans le pêle, vous savez cette petite cabane près de l'entrée de la mine.
Le pêle sert d'atelier de transformation de l'ardoise. Dans cette cabane on trouve le strict minimum : un petit poêle, une table, des tabourets, un banc, des outils.
A la mi-journée, les mineurs s'y retrouvent pour manger la soupe composée de ce que chacun a apporté : pommes de terre, parfois un peu de lard ou de viande et des légumes du jardin.
- le clivage des feuilles d'ardoise
Mais il faut se remettre au travail ....
Dans le pêle, sur la table, les carrieurs fendent les platées pour produire des feuilles d'ardoise.
C'est un travail assez délicat qui consiste à humidifier légèrement les platées pour éviter qu'elles ne se cassent, à en faire le clivage à l'aide d'une lame assez large, fine et plate et d'un marteau en forme de hache. L'ardoisier fait une amorce au milieu de la tranche de la platée, y introduit délicatement son coin et par petites pressions successives à coup de marteau en détache une feuille d'ardoise.
Les platées donnent généralement 8 feuilles d'ardoise allant de 3 à 12 mm en fonction de la qualité de la roche et pouvant aller jusqu'à une surface d'1 m2 .
Selon leur épaisseur, les feuilles sont appelées "minces" de 4 à 6 mm, "ordinaires" de 6 à 8 mm, "choisies" autour de 10 mm, "fortes" de 12 à 15 mm.
- marquage et découpe de l'ardoise
Cette étape consiste, pour l'ardoisier, à tracer sur la feuille la grandeur d'ardoise voulue à l'aide d'un gabarit dit "panneau". C'est le marquage.
L'ardoisier grâce au marquage doit tirer un maximum d'ardoises de sa feuille et faire le moins de perte possible.
- la taille des ardoises
L'ardoisier doit ensuite ciseler les feuilles d'ardoises. Cette opération donne l'aspect final aux ardoises.
Le carrieur utilise une cisaille munie de crans ou un couteau à balancier qui permet de couper l'ardoise aux mensurations voulues. Chaque ardoise est ensuite rangée suivant ses dimensions.
Lors de la mise en exploitation des mines, les mesures se faisaient en pieds et en pouces mais au début du XIXème siècle, on utilise le système métrique.
A Morzine, il y a 7 catégories officielles
- "les petites" de 13cm x 19cm et de 14cm x 22cm
- "les bellons" de 16cm x 24cm
- "les secondes" de 17cm x 27cm
- les 20cm x 30cm
- les 22cm x 32cm
- "les juges" de 35cm x 50cm
les ardoises, on l'a vu, ont aussi des épaisseurs différentes et on choisi l'épaisseur en fonction de leur utilisation. Plus on monte en altitude, plus l'ardoise doit être épaisse pour supporter le poids de la neige.
- "le marin"
je vous ai expliqué que les débris de roche jetés à l'extérieur des mines s'appelaient "le marin" mais les déchets, les chutes de la coupe des ardoises contribuent à augmenter ce "marin" et sont rejetés hors du pêle.
Les chutes insuffisamment grandes pour être des ardoises ou dont la coupe n'est pas bien rectangulaire ou qui ne sont pas délignées mais qui ont quand même une superficie utilisable vont devenir des Lauzes.
Mais revenons aux ardoises...
- le perçage
La touche finale est le perçage des feuilles d'ardoise. Cette étape permettra de les clouer sur le toit.
Le perçage ce fait assis sur un banc, à l'aide d'une pointerolle montée sur un pas de vis et actionnée à la main grâce à un levier.
- le transport
Les ardoises sont prêtes, l'ardoisier doit encore les descendre pour les amener dans son entrepôt. Au XIXème le travail est dur car chaque soir toute la famille s'y attelle soit à dos d'homme soit à l'aide d'un bard ou bayart soit avec un traîneau.
les conditions de travail et les dangers
Au XIXème siècle les conditions de travail sont précaires. L'ardoisier doit être équipé de bonnes chaussures, d'un sac à dos pour y mettre le nécessaire pour sa soupe, et surtout sa lampe. Au début l'éclairage se faisait à la lampe à huile et depuis 1836 c'est à la lampe à acétylène que les mineurs s'éclairent.
En ce qui concerne les dangers, ils résident pour les ardoisiers essentiellement dans les éboulements. En 1862 une partie du Saix s'est effondrée. Des réglementations visant à éviter l'effondrement du bas de la falaise ont été prise par l'Administration mais un nouvel éboulement se produit alors en 1873. Le bas de la falaise s'est effondré et plusieurs milliers de mètres cubes ont complètement enseveli le village de Char en contre-bas. Les bois, les champs, les 14 maisons ont disparu sous les rochers ne causant que 2 décès, une femme et un enfant, le reste du village étant parti à la messe. Les mines interdites, la route coupée, ce fut une catastrophe économique pour Morzine qui dut faire appel à des dons et il a fallu de nombreuses années pour remettre la route et les terres en état.
Mais il ne faut pas croire que ces éboulements sont de l'histoire ancienne. En effet en 1950, 1978, 1982, 1988, 1991, 1999 puis plus près de nous en 2000 et 2008 de nombreuses chutes de roches assez importantes, sans toutefois causer de décès, sont survenues dans la vallée des Ardoisières compromettant l'exploitation des carrières malgré des mesures de sécurité renforcées.
Le travail est toujours dangereux car les escarpements sont soumis à des alternances de précipitations, de neige, de gel et de dégel qui entraînent des fissures dans la roche et l'arrachement d'écailles rocheuses.
Les ardoisiers aujourd'hui
les techniques des ardoisiers se sont améliorées au XXème siècle. A l'heure actuelle les artisans acheminent les engins directement dans la mine. Le travail est plus rapide, mieux sécurisé et le rendement s'en trouve amélioré.
On ne s'éclaire plus à la lampe mais avec l'électricité founie par des panneaux photovoltaïques
Franck Buet dans un article sur les Echos raconte qu'il a découvert dans les carrières italiennes une autre technique pour"couper" la pierre : c'est le disque diamanté dont j'ai déjà expliqué l'utilisation dans un précédent article sur le marbre de Carrare.
Avec cette méthode qui "découpe les blocs comme un fil à couper le beurre" nous dit-il, il a obtenu le prix de l'Innovation métier en 2000. Franck Buet qui exploite la carrière d'Ardoise des "7 pieds", extrait chaque année avec son employé 10 000 m2 d'ardoises : plus de rendement, plus de sécurité.
Les ardoisiers utilisent aussi une haveuse avec un bras pour découper les blocs de roche.
Cliquez sur le lien suivant pour lancer la vidéo et vous découvrirez l'intérieur de la carrière des 7 pieds lors une journée de travail, n'oubliez pas le son !
haveuse en action - carrière des 7 pieds - Morzine
Après avoir scié la pierre, le carrieur fait un trou avec une perforatrice pour introduire des coins éclateurs et ainsi fendre la pierre.
Les blocs sont ensuite transportés à la sortie de la mine par une pelleteuse et un chariot élévateur.
Mais si à l'atelier on utilise une débiteuse pour réduire de taille les blocs, l'étape qui consiste à fendre les ardoises avec le coin et la masse, à les tailler avec la cisaille se fait toujours de façon artisanale avec le savoir-faire acquis depuis des siècles et transmis de génération en génération.
conditions de travail actuelles et retentissement sur la santé des ardoisiers
Le travail d'ardoisier comporte des risques plus ou moins important pour la santé.
- Il y a d'abord le bruit, bruits des haveuses, des perforatrices et des explosions pour ceux qui la pratiquent encore.
- La poussière est omniprésente dans la mine et est très irritante pour les yeux, les bronches.
- La silice qui se trouve dans ces poussières entraîne une inflammation pulmonaire chronique et une fibrose pulmonaire progressive pouvant conduire à de graves insuffisances respiratoires ou cardiaques voire même prédisposer au cancer.
Les préventions sont une bonne aération des lieux et un travail en milieu humide pour limiter les poussières volatiles.
- enfin il y a des accidents, comme les chutes de roches, les blessures dues aux outils tranchants ou encore dues à la rupture brutale de la chaîne diamantée.
Malgré ces risques, les faibles revenus qu'ils en retirent et les investissements nécessaires à la sécurité, 4 familles continuent de perpétrer la tradition des ardoisiers pour faire survivre leur savoir-faire traditionnel.
Et quoi de mieux que de voir travailler un des derniers ardoisiers de Morzine ? alors je vous propose de lire la vidéo suivante tirée du témoignage de Maurice Buet sur FR3 Auvergne-Rhône Alpes datant de 2015. Si toutefois la vidéo a du mal à partir cliquez sur "Ardoisier a Morzine 1" dans le coin supérieur gauche pour la lire directement sur Youtube.
Je lui laisse la parole ...
reportage FR3 Auvergne/ Rhône-Alpes/ Haute Savoie
Utilisation des ardoises aujourd'hui
Jusqu'au XIXème siècle, les ardoises servaient uniquement à recouvrir les toitures.
Dans les années 70 - 80 les ardoises doivent faire face à la concurrence et perdent de leur intérêt, remplacées par des plaques de tôle ou de bitume moins coûteuses.
Cependant une nouvelle clientèle concernée par un retour aux matières naturelles, par une envie d'authenticité se tourne de nouveau vers ce matériau. L'ardoise se fait chic et moderne. Aujourd'hui même si le coût reste élevé, l'ardoise se diversifie, elle devient plan de travail de cuisine, elle rentre dans la salle de bain, se fait dalle, habille les cheminées, devient table,. Elle trouve même un nouvel élan dans la décoration de la maison et une nouvelle noblesse ...
l'avenir dépend de nous
Si Morzine est devenue avec Avoriaz une des stations de ski réputées et recherchées, il ne faut pas en oublier le patrimoine.
Si vous devez aller en vacances dans cette superbe région en hiver ou en été, je vous conseille de contribuer à faire vivre encore et encore ces pratiques traditionnelles que sont les Ardoisières de Morzine en vous rendant à l'Office du tourisme puis aux visites qu'ils organisent pour nous faire partager leur savoir et redonner sa place à l'Ardoise de Morzine..
En tout cas j'espère modestement vous en avoir donné l'envie ....