un musée du Cuir et de la Tannerie : Château-Renaultp
20 nov. 2018
Ma Touraine est une belle région tant par son patrimoine culturel, gastronomique qu'artisanal. Après avoir abordé les spécialités tourangelles telles que le Sainte Maure ou les rillettes de Tours, ou encore vous avoir promené au jardin de Chaumont, dans la soierie Le Manach, dans une maison close l'Etoile Bleue, je vous emmène aujourd'hui visiter un musée du Cuir et de la Tannerie situé à Château-Renault.
Avant de commencer cette visite, il me semble important de faire un petit rappel sur l'histoire du Cuir à travers les âges.
le cuir à la préhistoire
Depuis la nuit des temps, l'homme a voulu se protéger le corps du froid et a utilisé pour cela de la peau. La peau pouvait provenir de toutes sortes d'animaux : mammifères, reptiles, oiseaux ou poissons en fonction de la chasse.
Les premières traces de tannage du cuir datent de l'homme de Neandertal, il y a 50 000 ans. Les Néandertaliens utilisent des bois de cerf pour "gratter" la peau et des pointes très fines en silex puis en os pour pratiquer des trous et ainsi pouvoir assembler le tout. La laine ou la fourrure est conservée. Cependant les peaux ainsi tannées restent putrescibles.
Au Néolithique, vers 9 000 ans avant JC, les techniques de préparation des peaux évoluent et les peaux sont enduites de graisse provenant soit de cervelles d'animaux soit de moelle épinière. La graisse est appliquée directement sur la peau et on la fait pénétrer à l'aide de grosses pierres lisses. La peau ainsi préparée gagne en souplesse et en imperméabilité.
On peut faire référence ici à Ötzi, trouvé dans les Alpes et datant de 5 000 ans avant JC..
"le corps était encore enveloppé dans une partie de ses vêtements formant trois couches successives : un pagne en peau de chèvre maintenu par une ceinture en peau de veau, une grande veste en cuir qu'on a supposé être de chamois ou de bouquetin, des jambières attachées à la ceinture par des jarretelles, une cape en fibres végétales tressées, un bonnet de fourrure en peau d'ours [....] et un petit sac de cuir contenant de petits outils de silex (grattoir, perçoir, lame pointue,retouchoir) [....] Ötzi portait des chaussures en peau de cerf et de paille avec des semelles en cuir d'ours . source : DVD La mystérieuse histoire d'Ötzi - la momie des glaces -ed National Geographic coll. Les grandes énigmes de notre histoire - 2008 |
le cuir chez les Egyptiens
Nous avons de nombreux objets provenant de fouilles conduites en Egypte et force est de constater que le cuir y a été couramment utilisé. Les tanneurs ont un rôle très important et sont considérés car nécessaires à la vie quotidienne. Dans les tombes on a retrouvé des carquois, des boucliers, des sièges, des sandales, des tabliers en cuir. Dans la tombe de Toutankhamon on a également retrouvé des garnitures de char très travaillées également en cuir.
Les Egyptiens tannent le cuir soit avec de l'huile et soit avec de l'alun. Ils trempent les peaux dans ces bains d'huile puis les tendent sur un chevalet, recommencent l'opération et étirent de nouveau. Quand ils utilisent l'alun on parle alors de tannage minéral. Les cuirs sont alors très fins, souples, imperméables et imputrescibles, permettant un travail et des objets très raffinés.
chez les Celtes
Le monde celtique étant recouvert de forêt, les Celtes ont beaucoup utilisé le tanin issu de l'écorce du chêne pour traiter leurs peaux. Le Cuir sert alors à l'armement, il recouvre les boucliers et certains casques, sert à fabriquer des carquois, outres, sacs, fourreaux d'épée, selles, harnais... On l'utilise aussi pour l'habillement comme pour les braies, les manteaux et les ceintures.
Les peaux sont entassées dans des fosses et recouvertes de tanin réduit en poudre. Elles sont tassées quelques fois aux pieds, restent plusieurs mois ainsi avant d'être ressorties et de pouvoir être travaillées.
chez les Romains
Les Romains ont une véritable "industrie" du tannage. Les peaux sont mises à tremper dans des cuves avec du tanin et de l'urine collectée dans les toilettes publiques. On a retrouvé lors de recherche archéologique une tannerie à Pompéi avec ses cuves.
Le cuir sert alors pour la sellerie, les sacs, les cuirasses militaires avec leurs lanières de cuir, les sandales et leurs liens ....
Au Moyen âge
Le cuir est partout et les tanneurs sont nombreux, ils se regroupent même en corporation. Le tannage se fait à l'alun. Le cuir est utilisé pour les sièges, les vêtements, les souliers, les coiffes, les besaces, les carquois, les fourreaux d'épée....
Le cuir est partout et les tanneurs sont nombreux, ils font évoluer les méthodes et pour garantir la continuité des techniques ils se regroupent en corporations. Ils sont dans toutes les villes et on a encore des rues qui portent leur nom comme par exemple près de moi la rue des tanneurs à Tours, à Vendôme ...
Ces techniques perdureront jusqu'au XIXème siècle.
XIXème siècle
C'est au XIXème siècle que le 1er brevet concernant le tannage est déposé. En 1855 on adopte le tannage minéral plus rapide et les petits ateliers familiaux se multiplient.
Cependant l'arrivée de la mécanisation et de l'industrialisation entraîne la fermetures et la disparitions des petites tanneries familiales au profit de véritables entreprises de tannerie.
Voilà, après ce petit raccourci de l'histoire du cuir, je vous emmène à Château-Renault au Musée du Cuir et de la tannerie
Le Musée du Cuir et de la Tannerie à Château-Renault
Histoire de la tannerie de Château-Renault
Comme je vous l'ai dit, le Moyen âge a vu un grand développement des tanneries et notre Touraine, avec ses rivières, est un endroit propice à leur implantation. Les tanneries s'installent donc près des villes et y apportent prospérité malgré les odeurs nauséabondes qu'elles dégagent et qui indisposent souvent les habitants. Château-Renault de par sa situation est un lieu idéal et c'est le Maître Tanneur Bertrand Peltereau, en 1543, qui recevra l'autorisation d'installer une manufacture près du Gault.
Au XVIIIème siècle, la ville compte jusqu'à 24 maîtres tanneurs et au XIXème siècle, grâce à la mécanisation due à Placide Peletereau et à l'arrivée du chemin de fer l'essor se confirme.
On dit alors que " Château-Renault est pour le cuir ce que Lyon est pour la soie, Lille pour les laines et Bordeaux pour les vins"
Le travail de la tannerie commence en 1597 et perdurera jusqu'en 1978, date de sa fermeture définitive. C'est en 1985 que s'ouvre dans ses murs le Musée du Cuir et de la Tannerie.
Le travail du Cuir à la tannerie de Château-Renault
Pour une lecture un peu plus ludique de cet article, je vous propose de vous retrouvez dans la "peau" d'un tanneur à Château-Renault fin XIXéme siècle ...
Vous vous appelez Jean, vous êtes employé à la tannerie et votre journée commence..
Laissez vous porter et imaginez .....
Nous avons reçu ce matin 25 à 35 kg de peaux de vache. Elles ont été séchées, pliées et salées pour éviter la putréfaction lors du transport.
Le travail dit "de la rivière" va pouvoir commencer.
Alors aujourd'hui, il va falloir les faire tremper dans l'eau de la rivière. Jean retrousse ses manches et s'exécute. Les peaux sont dépliées et vont rester 2 à 4 jours dans l'eau pour d'abord les dé-saler, les rincer et les regonfler d'eau. Cette étape s'appelle le reverdissage.
Jean a commencé le travail à 15 ans, il a regardé les gestes des aînés pour les apprendre mais dès son embauche il a participé aux tâches comme par exemple sortir les peaux de l'eau .... Le travail est dur, Jean est jeune ... bien sûr on se met à 2 ou à 3 pour les sortir mais une peau de vache mouillée pèse 60 kg !
vous pouvez cliquez sur ces photos pour les agrandir.
Les peaux sont sorties à l'aide de pinces à grandes poignées qui permettent d'attraper les peaux sans avoir à trop se pencher.
Jean dépose les peaux dans un bassin et l'écharnage commence. Jean n'aime pas ce travail; il est pénible. Penché sur la peau humide; il doit la gratter à l'aide d'un gros couteau pour détacher les chairs qui restent sur la peau. Cette opération est longue et l'odeur nauséabonde des peaux s'accroche à ses vêtements.
Ces chairs détachées de la peau, Jean va les récupérer et les broyer car elles servent à faire de la colle : la colle de peau
La peau brute est débarrassée de ses chairs mais pas encore de ses poils. Jean va les plonger dans des bassins remplis d'eau et de soude ou chaux pendant 3 jours. Son arrière grand père, et oui on travaille en famille dans les tanneries, utilisait de la cendre mais le progrès est en marche, on est au XIXème siècle quand même !
Cette opération s'appelle le pelanage, le but est de faire gonfler la peau, de faire dilater les pores de manière à rendre plus facile l'opération qui consiste à débarrasser la peaux de ses poils.
Après 9 jours de repos, Jean va faire un déchaulage des peaux en les faisant retremper dans des foulons mais cette fois avec de l'eau additionnée de sel pour en enlever la chaux. Les foulons sont de gros tonneaux de bois, garnis de picots émoussés en bois pour ne pas abîmer les peaux, qui sont en mouvement permanent pour brasser les peaux. Du temps de l'arrière grand père de Jean, on le manœuvrait à la main mais Jean, lui, bénéficie des progrès de l'industrialisation : l'électricité.
Parfois Jean utilise la coudreuse pour l'échaulage.
Une fois débarrassées de la chaux, une partie des poils est tombée mais il en reste. Pour terminer de les enlever, Jean prend les peaux à l'aide d'un grand crochet et les pose une à une sur un chevalet en bois recouvert de zinc pour éviter la formation de rouille, les peaux étant encore mouillées. Jean a pris la précaution de mettre ses bottes et son tablier de cuir pour prévenir les accidents.
Le travail est dur pour le dos car, penché sur le chevalet, Jean doit gratter la peau avec un couteau d'ébourrage, grand couteau à 2 manches en bois maintenant une grande lame courbe.
On a vu que les restes de chair servent à faire de la colle, et si rien ne se perd tout se transforme, selon l'adage, les poils serviront à faire des pinceaux !
Le travail de rivière est terminé et commence alors le travail dit " travail de cour".
Les peaux vont être marquées avant le tannage. Pour faire le marquage, Jean utilise un gros tampon en métal devant un agent assermenté. Le tampon porte les indications "UT CHATEAURENAULT" et une lettre secrète propre à chaque tannerie et à chaque mois par exemple "R" pour janvier, "C" pour décembre. Cela permet la traçabilité des peaux et de connaître la durée du tannage, gage de qualité.
En effet si une peau est marquée "A" en janvier d'une année, par exemple 1920, elle sera marquée "M" en janvier l'année d'après. Si en mars 1921 on achète une peau marquée "A" on sait qu'elle est de bonne qualité car a eu plus d'un an de tannage.
agrandissez ces photos si vous voulez
D'ailleurs une affiche conseille l'acheteur en ce sens pour un gage de qualité.
Jean va s'attaquer à la basserie qui consiste à mettre les peaux préparées dans de grandes fosses, à plat, recouvertes d'écorces de chênes mixées ou Tan entre chaque peau. C'est le pré-tannage qui dure de 20 jours à 1 mois.
Puis vient le tannage. Pour le tannage, Jean va fixer les peaux sur des supports et les faire tremper dans des cuves contenant du Tan de plus en plus concentré libérant ainsi de plus en plus de tanin . Il laissera les peaux tremper pendant 9 mois à 12 mois et les tournant tous les 3 mois.
Mais d'où vient le tanin ?
Jean connaît bien l'origine de ce tanin, c'est son ami Gaston qui lui amène. Gaston est un ouvrier employé à l'écorchage. Il est saisonnier car l'écorchage se pratique au printemps dans les forêts avoisinantes. A la fin du printemps il doit écorcher les troncs de chêne avec un peloir en os de cheval.
Les écorces sont mises en fagots et Gaston les amènent à la tannerie pour qu'elles soient réduites en poudre.
Cliquez sur ces photos pour les agrandir.
Mais revenons à nos peaux....
Elles trempent depuis 1 an, Jean vide alors les fosses de leur eau. Il reste le Tan au fond de ses cuves. Il est récupéré, mis dans des moules et tassé. Jean est heureux car la direction de la tannerie offre ces "galettes de Tan" aux ouvriers. Jean pourra se chauffer avec cet hiver !
Les peaux humides doivent être séchées et pour cela Jean va les suspendre dans le séchoir.
Après séchage, les peaux sont devenues du cuir lisse et ferme mais, déformées, et il faut leur redonner leur forme et les assouplir. C'est le carroyage ou carroyerie.
Pour réaliser cette étape, Jean va étendre une des pièces de cuir sur une grande table et la ré humidifier légèrement.
Jean va prendre sa queurse à lisser et va la passer sur le cuir côté fleur pour l'étendre, la dérider et l'aplanir. La queurse est un petit outil en bois avec une lame en ardoise.
Puis Jean va égaliser l'épaisseur de la peau en passant le couteau à dérayer. C'est une longue lame à 2 côtés tranchants et que l'on tient à 2 mains grâce à une double poignée en bois. Cette phase du travail se pratique côté chair et demande une grande concentration et beaucoup de doigté.
Ensuite Jean va passer la marguerite côté fleur pour rebrousser le cuir. La marguerite est une sorte de grosse brosse en bois et son passage va assouplir le cuir.
Jean frotte ensuite le cuir avec une plaque de liège pour faire ressortir le grain du cuir.
Enfin Jean prend un valet et le passe en tournant sur toute la surface du cuir pour le lustrer et le faire briller.
Jean aime bien utiliser cette succession d'outils et le travail est varié mais il faut dire qu'à contrario il n'aime pas la position penchée sur la table, position pénible d'autant plus que les outils sont petits et les peaux de vache très grandes donc le travail dure longtemps et par là-même la position aussi.
Jean est un bon ouvrier, il a la main sûre et experte, mais il doit quand même contrôler son travail et surtout l'épaisseur de son cuir pour cela il a à sa disposition un mesureur d'épaisseur.
Voilà le cuir est prêt à être vendu. Il est vendu au poids aux cordonniers, aux bottiers, aux bourreliers, aux selliers et aux militaires pour leurs brodequins.
Il a fallu 1 an à 1 an et demi pour obtenir cette qualité de cuir donc il est cher.
voici une partie des réalisations faites avec ce cuir.
Jean aime son métier et est fier de voir les produits finis un peu grâce à lui et à la publicité faite autour du cuir.
Pourtant Jean est inquiet car la mécanisation est en route et il a peur que la machine supplante l'homme même si on lui a présenté cette évolution comme un soulagement des tâches pour lui.
Bien avant de prendre congé de Jean, imaginons lui poser quelques questions.
Jean, quelles sont vos craintes ?
- "bon comme je vous l'ai dit j'ai peur de cette mécanisation, j'ai peur de perdre mon emploi aussi avec les copains de l'atelier on a décidé de créer un syndicat pour défendre nos intérêts"
Jean savez-vous d'où proviennent les peaux que vous traitez ?
- "Les peaux ? bien, elles viennent d'Amérique du Sud bien-sûr !"
D'Amérique du sud ? et pourquoi pas des vaches qui sont dans les champs autour de vous ou en France ?
- "Tout simplement car l'Amérique du sud c'est grand, je n'y suis jamais allé mais on me l'a dit, et les vaches elles sont quasiment en liberté dans ces grands espaces. Ici les vaches elles sont confinées dans des prés de petites superficies et elles s'abîment la peau contre les barbelés ... et leur peau, après, avec tous leurs défauts, est inutilisable !"
Jean et la pénibilité du travail dans tout ça ?
- "Ah oui, le travail est pénible, tirer, porter les peaux, travailler courbé aussi c'est pas bon pour le dos mais il y a 3 situations qui sont particulièrement pénibles !"
Lesquelles ?
- "D'abord le bruit car depuis l'électrification des foulons et la modernisation qui a remplacé la queurse et la marguerite par le marteau à battre les cuirs mécaniquement en 1920, c'est infernal. Il parait qu'une machine fait 100 Db en tout cas, moi, ça me fait mal aux oreilles, le soir elles bourdonnent."
Tenez,vous pouvez écoutez !
Cliquez sur les liens ci-dessous et mettez le son !
bruit du foulon
bruit du marteau mécanique
la deuxième situation qui nuit à ma santé c'est le tannage car si je vous ai présenté le tannage végétal, l'industrialisation le remplace de plus en plus par le tannage minéral. Depuis 1900 on utilise des produits chimiques à la place du Tan comme des sels d'Alun, des sels de fer ou encore des sels de chrome. Et le chrome, moi ça me donne des boutons sur les bras alors ça m'inquiète. En même temps je connais des gens qui on eu des éruptions cutanées sur ou sous les pieds à cause du cuir tanné au chrome de leurs chaussures ... Allergie, qu'ils disent ...
Enfin la troisième situation, c'est la plus grave ... c'est la contamination "
La contamination ?
- "Oui car les peaux arrivent séches mais on ne connait pas la vache. Etait-elle malade ? En attendant le risque le plus important c'est le Charbon car beaucoup de vaches en sont atteintes et tant qu'elles sont pas ébourrées et écharnées, elles sont dangereuses. On prend bien des crochets pour les manipuler mais on les touche quand même et la bactérie se loge sous nos ongles, si on se gratte, on est bon ! Il faut se laver les mains et se regarder pour voir si on a pas de boutons. Au moindre doute c'est le docteur ... Ils disent bien qu'il existe un sérum antii-charbonneux mais j'aime mieux pas en avoir besoin.
Enfin le patron nous a mis des affiches pour nous rappeler les consignes et ça c'est bien.'
Bien Jean, ce n'est pas drôle tout ça ..
- "Oh mais avec les copains on est content quand même, on a un travail et le Dimanche on se retrouve ensemble devant un bon verre et on a même notre chanson ! Vous voyez ça va quand même bien ..."
Vous pouvez même l'écouter ....
Voilà, Jean va retourner à son passé et à ses peaux....
J'espère vous avoir donné envie de visiter ce Musée du cuir et de la Tannerie à Château-Renault qui est une trace de notre artisanal local et qui mérite tout notre intérêt et celui de nos enfants.