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Je vous propose un retour au Moyen-âge, après la cuisine, traitée dans un article précédent, voici une incursion dans les techniques de mesure au Moyen-âge.

 

Le Moyen-âge, comme on le sait est une période qui s'étend du Vème siècle au XVème siècle, donc sur une période de mille ans, et qui est caractérisée par une prépondérance de la religion.

Il s'agit d'une période ponctuée par des guerres, des épidémies mais aussi par des périodes de renouveau souvent consécutives à des réformes religieuses.

Dans ce contexte, les constructions défensives et religieuses prirent de l'importance. Les seigneurs firent construire des châteaux forts pour se défendre mais aussi pour le prestige qu'ils leur conféraient et les religieux firent édifier de nombreuses églises pour élever les âmes vers le ciel et se protéger ainsi des épidémies, considérées comme des châtiments pour âmes perdues.

On voit aussi apparaître des constructions de rachat de l'âme qui assuraient la voie du paradis après la mort, comme par exemple les Hospices de Beaune édifiée par Nicolas Rollin et sa femme Guigone de Salins.

 

« Moi, Nicolas Rolin, chevalier, citoyen d’Autun, seigneur d’Authume et chancelier de Bourgogne, en ce jour de dimanche, le 4 du mois d’août, en l’an de Seigneur 1443 ... dans l’intérêt de mon salut, désireux d’échanger contre des biens célestes, les biens temporels ... je fonde, et dote irrévocablement en la ville de Beaune, un hôpital pour les pauvres malades, avec une chapelle, en l’honneur de Dieu et de sa glorieuse mère ... »

 

Ces constructions ont traversé les époques jusqu'à nous mais les bâtisseurs du Moyen-âge ne disposaient pas de nos technologies précises pour entreprendre ces travaux : ils dessinaient, mesuraient, calculaient et vérifiaient les résultats.

L'exactitude n'est donc pas au centre des préoccupations des maîtres d'oeuvre, ce qui importait avant tout pour eux, c'était les proportions et l'harmonie.

 Que ce soit pour des constructions romanes ou gothiques, on retrouve cette même unité, chargée à la fois de symbolisme et d'esthétisme : la proportion.

 

 

Mais avec quoi mesurait-on au Moyen âge?

 

les instruments de mesure étaient simples d'utilisation, peu encombrants et surtout transportables partout. Ils étaient faciles à comprendre par tous même par les ouvriers ne sachant ni lire ni écrire.

 

 

Les unités de mesures.

 

Au Moyen âge, on comptait sur ses doigts et on se servait des parties de son corps. Donc à partir de cette pratique, il découle des unités de mesure aux noms explicites :

 

le pouce,  c'est la mesure de la largeur du pouce , soit environ 2,5 cm                         

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photo personnelle

 

la paume, c'est la largeur d'une main soit environ 7,5 cm = 3 pouces

 

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photo personnelle

 

la palme, espace entre le 2ème et 5ème doigt soit environ 12,5 cm

             = 1 palme + 2 pouces = 5 pouces

 

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photo personnelle

 

l'empan, espace du pouce au 5ème doigt soit environ 20cm

            = 1 palme + 1 paume = 8 pouces

 

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photo personnelle

 

le pied, mesure de sa longueur soit environ 32,5 cm = 1 palme + 1 empan

           = 13 pouces

 

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photo personnelle

 

la coudée, longueur de l'avant-bras soit environ 52,5 cm = 1 empan+1 pied = 21 pouces

 

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photo personnelle

 

Les maçons utilisent des mesures bien plus grandes telles que la toise soit 24 paumes.

 

Toutes ces mesures ont donc la même proportion : celle du maître d'oeuvre, mais leur longueur varie d'un maître d'oeuvre à l'autre, d'une ville à l'autre, d'une seigneurie à une autre, d'un royaume à l'autre. Ces unités ne dérivent pas d'un étalon invariable.

 

Ces mesures sont reportées sur la Pige qui est la règle médiévale

 

 

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                    Sur cette miniature, le maître d'oeuvre qui rencontre le seigneur tient sa pige à la main, une autre est posée le long du bâtiment, près des tailleurs de pierre. (source : visite de Guillaume de Tyr lors de la reconstruction de Jérusalem-France, Rouen, XVe siècle Artiste : Maître de l'Échevinage - BNF)

 

 

La pige est facile à transporter et chaque maçon, chaque tailleur de pierre peut à chaque instant prendre ou vérifier ses mesures, mais aussi contrôler la recitude de l'ouvrage.

 

 

La corde à 13 noeuds.

 

 

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photo personnelle

 

Pour les constructions, les Egyptiens utilisaient déjà la corde à 13 noeuds.

On s'en sert toujours au Moyen-âge.

Cette corde est d'une longueur de 12 coudées et est constituée de 13 noeuds définissant 12 intervalles identiques.

Elle permet de définir une multitude de figures géométriques telles que le carré, le rectangle, le triangle, l'angle droit, les polygones et le cercle.

 

 

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source  : géométrie-XIIème siècle -manuscrit de la bibliothèque d'Avranches

 

L'emplacement au sol est défini et mesuré grâce à cette corde.

Les plans sont donc dessinés au sol, selon les principes de trigonométrie proportionnelle, puis sont reproduits exactement dans les mêmes proportions tant pour le gros oeuvre que pour les portes, fenêtres ou oviges.

 

Pour l'utiliser, on plante une pointe dans le sol, passant par l'anneau de l'extrémité de la corde, on dessine la forme voulue en bloquant les angles avec d'autres pointes et on passe le dernier noeud dans l'anneau de départ.

 

 

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photo personnelle

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photo personnelle

 

Lorsque le tracé est réalisé au sol, on taille un gabarit ou mole : c'est une pièce de bois reprenant les mesures et la forme exactes de l'ouvrage à réaliser. Le bâtisseur peut alors emmener son gabarit partout sur le chantier.

 

 

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                                       Sur cette miniature, le tailleur de pierre dispose d'un gabarit posé au sol prêt de lui (source : anonyme- XVème siècle- bibliothèque de Nuremberg)

 

Chaque construction nécessite des gabarits, mais il est probable que le maître tailleur de pierre emmenait ses moles de chantiers en chantiers pour les formes les plus fréquemment utilisées (frises, rosaces, linteaux).

 

 

L'équerre.

 

Au Moyen-âge, l'équerre est en métal, sans graduation. Elle est constituée de 2 branches perpendiculaires définissant un angle droit. Sa forme est simple.

 

 

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                       On peut voir, dans l'angle droit de cette miniature, un tailleur de pierre utilisant son equerre (source : les grandes chroniques de France- Dagobert visitant le chantier de construction de Saint Denis-Robinet Testard- XVème- BNF)

 

Les tailleurs de pierre et les maçons du Moyen-âge utilisent l'équerre.

Les maçons l'utilisent pour contrôler l'angle de 2 murs.

Les tailleurs de pierre l'utilisent soit pour tracer ou vérifier un angle droit, elle devient une sorte de gabarit, soit à plat pour vérifier que la taille est bien plane.

Là aussi, l'équerre est déplaçable partout sur un chantier, mais contrairement à la pige sa taille est invariable.

 

 

 

L'archipendule.

 

 

L'archipendule est l'ancêtre de notre niveau. Suivant le principe de la gravité, il détermine l'horizontalité, l'aplomb d'une pierre, d'une pièce de bois, d'un mur.

 

 

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                            Sur le mur, un maçon utilise un archipendule pour vérifier l'horizontalité de son ouvrage. (source : visite du roi Offa de Mercie sur le chantier de Saint Alban- extrait de la vie de Saint Alban Amphbale- Mathieu Paris-1250 )

 

L'archipendule peut avoir la forme d'un "T" renversé, comme sur la miniature ci-dessus, ou une forme triangulaire : le principe reste le même.

Il est constitué d'une ficelle fixée en haut du support et un plomb fixé en son extrémité. Une encoche est marquée au milieu du support de bois.

 

 

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photo personnelle

 

Quand on pose l'archipendule sur l'ouvrage, le fil à plomb doit se trouver parfaitement en face de l'encoche pour être sur un horizontal parfait. Si ce n'est pas le cas, le maçon du Moyen-âge devra à nouveau régler sa pierre pour obtenir une pose parfaite.

 

 

Le fil à plomb.

 

C'est un des plus vieux instrument de vérification, connu depuis l'antiquité, et encore utilisé de nos jours.

Il est très simplement, comme aujourd'hui, constitué d'une ficelle terminée par un plomb. Le poids du plomb, avec le principe de la gravité, détermine la verticalité naturelle.

 

 

 

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                   Au premier plan, un maçon vérifie l'aplomb de son mur avec son fil à plomb (source : construction de Rome-CNRS)

 

Le fil à plomb permet aux tailleurs de pierre médiévaux de vérifier si les pierres de leur ouvrage sont bien à la verticalité les unes des autres mais il peut aussi, sur de plus petites surfaces servir au traçage de lignes verticales.

 

 

Les cordeaux

 

Les cordeaux sont de simples ficelles que les maçons du Moyen âge utilisaient pour assurer à la fois la verticalité et l'horizontalité d'un mur.

Une fois tendus horizontalement sur la longueur du mur, les cordeaux délimitent la position des pierres et leur alignement.

 

 

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             Fabrique de ficelles et de cordes (source : gravure de Jost Amman et Hans Sachs-1568- Frankfort)

 

Les cordeaux peuvent aussi servir au marquage de lignes droites sur les pièces de bois avant leur coupe. Trempé dans une teinture, le cordeau de chanvre est fixé bien tendu sur la pièce et maintenu grâce à des pointeaux.

Il suffit alors de le soulever en son milieu et de le relâcher rapidement pour que le cordeau teinté laisse une trace colorée bien droite sur le bois qui servira de ligne de coupe.

 

 

Le compas

 

Les compas existent aussi depuis l'antiquité et sont très utilisés au Moyen âge car les courbes sont partout : tours, rosaces, arc en plein cintre ...

Ils sont en bois ou en métal, petits pour les plans ou très grands pour le report grandeur nature, avec ou sans "secteur".

 

Le "secteur" d'un compas est un quart de cercle fixé sur une des branches et qui coulisse à travers l'autre. Il permet le blocage du compas sur certaines ouvertures ou la lecture de graduations permettant de retrouver angles et proportions.

 

 

 

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                      Ici, le maître d'oeuvre tient à la main un compas à secteur  (source : visite du roi Offa de Mercie sur le chantier de Saint Alban- extrait de la vie de Saint Alban Amphbale- Mathieu Paris-1250 )

 

 

Le plus répandu est le compas à charnière à pointe sèche, facteur de précision, il sert à tracer des cercles, des demi-cercles mais aussi à comparer et reporter des distances.

 

 

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Sur une maison à pans de bois de Dijon, un Compas à charnière (photo personnelle)

 

 

Le traçage

 

Mesurer, reporter les cotes, nécessitent des outils de traçage. Comme pour les mesures, les bâtisseurs du Moyen âge se servaient en priorité des éléments naturels à leur portée.

L'élément le plus souvent utilisé est le charbon de bois. Il est peu coûteux et les bâtisseurs s'en servent comme d'un fusain pour dessiner leur plan et tracer sur le bois, les pierres.

 

 

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photo personnelle

 

 

Le marquage se fait aussi avec des pigments naturels comme l'ocre que l'on trouve en abondance.

L'ocre est obtenue grâce à l'oxyde de fer tiré de l'argile trouvée sur les chantiers et laisse un tracé rouge bien visible sur les pierres blanches comme sur le calcaire par exemple.

 

 

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photo personnelle

 

Le traçage se réalise aussi grâce à des instruments plus élaborés comme les pointes à tracer. Elles sont en métal, avec une pointe très dure et les oeuvriers s'en servent comme d'un crayon : la pointe laisse un trait, ou une marque, incrusté sur le support de bois ou de pierre.

 

 

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photo personnelle

 

 

 

Certains plans et certains relevés de cotes étaient réalisés à la mine de plomb mais cet usage était peu répandu et réservé à des maîtres d'oeuvre prestigieux, comme Villard de Honnecourt, car trop onéreux.

D'autre part ces mines de plomb étaient fragiles et donc difficile à utiliser sur un chantier.

 

 

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       source :  Extrait du cahier de relevé d'architecture, moles et rosaces, de Villard de Honnecourt

 

 

En conclusion, force est de constater qu'avec leurs instruments de mesure les bâtisseurs du moyen âge ont su faire de magnifiques réalisations : cathédrales et châteaux sont toujours là pour nous le rappeler !

 

 

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  Ce tableau résume bien tous les instruments de mesure du Moyen âge (source :  tableau du XVIIème siècle - Hendrik von Balen )

 

Leurs instruments ont évolué et nous sont parvenus sous des formes un peu différentes et ont bénéficié de nos technologies avancées.

On ne parle plus de corde à 13 noeuds mais de lecteur d'angles électronique, le niveau laser a remplacé l'archipendule et le fil à plomb, le télémètre laser a supplanté la pige.

 

Pourtant nos réalisations actuelles traverseront-elles les siècles comme celles des bâtisseurs du Moyen âge ?

 

 

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